Cet article est un portage de mon Medium et a été publié originellement le 8 Mai 2024

Vous en avez sans doute entendu parler si vous suivez le secteur des semi-conducteurs ou même si vous ne suivez que l’actualité financière puisqu’ARM a été la plus grosse introduction en bourse de 2023 avec une valorisation à l’ouverture de 60 Milliards de dollars !

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à cette pépite Britannique des semi-conducteurs pour savoir si elle peut présenter une bonne opportunité d’investissement.

Attention, tout investissement comporte des risques, cet article présente mon analyse avec ma vision et mes connaissances. Il ne fait pas acte de conseil et je vous encourage à faire vos propres recherches avant tout investissement. Il se peut par ailleurs que mon avis et mon analyse soit erroné

Les ratios financiers

Comme d’habitude, avant d’aller plus loin, penchons nous sur quelques ratios financiers pour voir si ARM pourrait représenter une opportunité d’investissement.

Il faut comprendre que, comme l’entreprise n’est cotée en Bourse que depuis Septembre 2023, nous n’avons accès qu’à très peu de données. Cela veut dire qu’il ne faut pas spécialement prendre pour argent comptant les ratios financiers pour le moment, mais qu’ils seront à surveiller sur le long terme.

Cela étant dit, sur le plan fondamental, c’est loin d’être de la folie… La rentabilité ne couvre même pas le coût de financement, ce qui veut dire que l’entreprise détruit de la valeur actuellement. En effet, on a ici un ROE à 1,99% et un ROCE à 1,42% quand le WACC est estimé à 10,24%.

Cependant, la dette nette est négative (-2,18 Milliards de dollars) et le ratio Dette Nette / EBITDA est de -8,9, signe d’une bonne santé financière.

Au niveau de la croissance, on observe que la tendance est relativement stable depuis 2022, avec une croissance annualisée de 4,87% du chiffre d’affaires et de 44,55% du Free Cash Flow. Cependant, si l’on prend en compte 2021, le résultat est bien plus mitigé au niveau de la croissance du FCF.

Cela s’explique notamment par de forts investissements de la part d’ARM mais aussi des changements dans les comptes débiteurs (ARM devait plus d’argent en 2022 qu’en 2021).

Niveau marge, la copie est aussi peu réjouissante, avec seulement 2,74% de marge opérationnelle et 2,89% de marge nette. Seule la marge FCF est bonne et affiche 27,54% de marge.

Bref, rien d’incroyable, loin de là. Personnellement, si je ne connaissais pas l’entreprise et le secteur, j’en resterai là et je ne perdrais pas plus de temps dans l’analyse. Il n’y a pas de réel red flag (à part pour la rentabilité) mais clairement, sur le plan fondamental, il y a mieux à faire ailleurs.

Analyse du secteur

Cependant, si on s’y penche d’un peu plus près, on se rend compte que l’entreprise est extrêmement bien positionnée sur son secteur et possède un avantage concurrentiel incroyable que l’on va essayer de comprendre et expliquer par la suite.

Rapide aperçu du marché des semi-conducteurs

Déjà, commençons par définir ce qu’est un semi-conducteur. Un semi-conducteur est un matériau qui, une fois soumis à un courant électrique, devient conducteur. Pour faire simple, un semi-conducteur est comme un interrupteur.

Aujourd’hui, on utilise ce terme pour définir tout le secteur des produits technologiques. Je n’aborderais pas ici toutes les subtilités de ce secteur car, premièrement cela prendrais beaucoup trop de temps, et deuxièmement, je prépare un article complet sur le secteur.

Cependant, pour la faire courte, voici une liste non exhaustive du type d’acteurs que l’on peut y retrouver:

  • Les équipementiers, ceux qui fournissent les machines et équipement nécessaires à la fabrication de puces comme ASML ou KLA

  • Les fondeurs, ceux qui possèdent les usines où l’on fabrique les puces tels que TSMC notamment

  • Les designers, ceux qui sont spécialisés dans la conception et le design de puces comme AMD ou Nvidia

  • Les concepteurs internes, ceux dont ce n’est pas le métier à l’origine mais qui, par des souhaits de développement, conçoivent les puces pour leurs produits en interne tel qu’Apple ou Tesla

  • Les IDM (pour Integrated Device Manufacturer), qui sont eux aussi spécialisés dans la conception et le design de puces mais qui possèdent leur propre fonderie tel qu’Intel par exemple

  • Les concepteurs de logiciels dédié, on pensera notamment à Cadence ou à Synopsys

Panorama de l’industrie des semi-conducteurs

Si vous souhaitez aller plus loin, je vous recommande la newsletter de Bourseko sur le sujet ici. L’infographie ci-dessus vient d’ailleurs de cette même newsletter

Pour revenir sur ARM, l’entreprise vend des licences aux concepteurs de puces (designers, concepteurs internes et IDM) qui vont utiliser les propriétés intellectuelles d’ARM pour concevoir leurs propres puces. Tout cela paraît très abstrait mais je vais essayer de le décortiquer dans la partie suivante.

Comprendre le segment d’ARM

Si vous vous y connaissez en informatique, vous aurez probablement entendu parler de CPU ou de GPU et avec un peu de chances, vous connaitrez la signification des acronymes RISC et CISC. Pour tous ceux qui sont déjà perdus, ne vous inquiétez pas, on va aborder ça ensemble.

Les CPU et GPU sont deux types de processeurs. Leur but est de faire des calculs pour permettre à votre ordinateur d’effectuer les tâches que vous souhaitez. Le CPU, pour Central Processing Unit (ou en français: unité centrale de calcul), sert à effectuer les calculs principaux et est présent dans tout ordinateur (ils sont souvent fabriqués par Intel ou AMD). Le GPU, pour Graphics Processing Unit (ou en français: unité de calcul graphique), sert à décharger le CPU de toutes les tâches de calcul graphique. C’est le GPU qui permet à votre ordinateur d’afficher de jolies images sur votre écran.

CPU vs GPU

Pour designer un processeur, on utilise ce qu’on appelle un jeu d’instructions. Ce jeu d’instruction est composé de briques élémentaires qui seront assemblées ensemble. Chaque brique a son rôle et est indispensable dans le processeur.

Aujourd’hui, il existe deux grandes philosophie de design de jeu d’instructions: RISC et CISC.

  • Les processeurs CISC (pour Complex Instruction Set Computer) utilisent un jeu d’instructions étendu, qui leurs permettent d’effectuer des tâches plus complexes avec la contrepartie de consommer plus d’énergie et d’avoir plus de briques élémentaires, ce qui rend l’architecture moins adaptée aux appareils mobiles. Les deux grands fabricants de processeurs CISC sont Intel avec le jeu d’instructions x86 et AMD avec son jeu d’instructions AMD64

  • Les processeurs RISC (pour Reduced Instruction Set Computer) quand à eux utilisent un jeu d’instruction réduit qui leur permettent de consommer moins d’énergie et moins d’espace, les rendant particulièrement efficaces pour les appareils mobiles. Aujourd’hui, le jeu d’instructions RISC le plus connu est le jeu d’instruction ARM

Imagerie au microscope d’un processeur avec tous ses transistors

Aujourd’hui, les processeurs RISC semblent largement avoir gagné la bataille et ne sont pas moins performants que les processeurs CISC comme c’était le cas dans le passé. Il n’y a qu’à voir Apple avec les Macs sous Apple Silicon qui sont des monstres de puissance et qui procurent bien plus d’autonomie que les machines sous Intel…

Pour en revenir à ARM, leur coeur de métier est la conception de jeu d’instructions. Ils vendent des licences permettant d’exploiter ces jeux d’instructions qui se retrouvent dans les processeurs des appareils électroniques.

Acteurs principaux

Comme vu plus haut, il existe deux philosophies de jeux d’instructions. Même si la tendance semble se porter vers une adoption de plus en plus massive des processeurs RISC, les jeux d’instructions d’Intel et AMD sont encore très présents, surtout dans les datacenters et les super-ordinateurs.

Les marché reste quand même relativement simple avec seulement 3 acteurs: ARM, Intel et AMD.

Sur la partie smartphones, ARM a une domination insolente avec 99% de parts de marché. Cependant, avec seulement 10,1% de parts de marché sur le secteur du Cloud, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Au global, ARM a une part de marché de 48%, ce qui la place comme leader du secteur.

sources: Forbes & Ycombinator

L’avantage compétitif monstre

Il reste cependant un point à aborder avant d’aller plus loin. Ce qu’il faut comprendre ici c’est qu’ARM a un monopole sur les architectures RISC qui prennent de plus en plus de parts de marché, que ce soit sur l’informatique personnelle ou même dans le secteur professionnel avec le Cloud.

Par exemple, AWS propose depuis quelques années des serveurs qui sont équipés de processeurs Graviton, basés sur la technologie d’ARM. Ces processeurs sont souvent beaucoup moins chers (on compare ici le ratio performance / prix) que leurs homologues sous x86/AMD64.

Avantages de Graviton vs les processeurs basés sur x86

Là où le tour de maître se situe, c’est qu’un programme qui est compatible avec x86/AMD64 est de fait incompatible avec ARM et inversement. Changer d’architecture processeur revient donc à repartir d’une feuille blanche, surtout quand on sait que les deux philosophies d’architectures ne fonctionnent pas du tout de la même manière. Aussi bon communiquant que vous soyez, si vous essayez de parler avec quelqu’un qui ne parle pas du tout votre langue, vous n’arriverez pas à grand chose. Et bien c’est la même chose pour les processeurs.

Comme exemple récent, on peut noter le passage de puces Intel aux puces Apple Silicon chez Apple. L’entreprise s’était assuré d’avoir des programmes compatibles bien avant d’annoncer au grand public la transition. De plus, Apple avait fourni un outil, Rosetta2, qui permettait de traduire en direct les application développées pour les Macs sous Intel.

Image d’illustration Apple des performances des Macs M1 vs Macs Intel

Cependant, la transition a quand même duré quelques années avec beaucoup de soucis pour les premiers Macs M1. Ils ont d’ailleurs privilégié le marché grand public pour avoir le plus de retours possible et forcer les développeurs à faire la transition.

Je vous invite aussi à aller visionner la vidéo de Cocadmin sur l’introduction des Macs sous Apple M1 pour comprendre les tenants et aboutissants d’un tel changement

Analyse de l’entreprise

Analyse de l’actionnariat et de la qualité du management

Au niveau de l’actionnariat, il faut savoir que SoftBank détient encore environ 90% de l’entreprise. Le flottant est donc assez faible, ce qui a un fort impact sur la valorisation de l’entreprise (on le verra plus tard).

L’Arabie Saoudite est aussi un gros actionnaire, directement auprès de SoftBank et détient environ 25% de l’entreprise.

Point intéressant, Nvidia et Alphabet sont tous les deux actionnaires via le flottant à hauteur de 1,96 millions d’actions chacun.

Pour rappel Nvidia avait essayé de racheter l’entreprise auprès de SoftBank en 2020 pour un montant de 40 milliards de dollars mais l’acquisition avait été empêchée par l’autorité de la concurrence

Au niveau du management, on retrouvera notamment Rene Haas en tant que CEO depuis Février 2022. Cependant, il est présent dans l’entreprise depuis Octobre 2013 et était présent dans le senior management d’NVIDIA avant son arrivée chez ARM.

Des 12 fondateurs d’ARM, aucun n’exerce encore un rôle dans l’entreprise.

Même si Rene Haas a l’air compétent, ne pas avoir au moins un des fondateurs à la direction ou présent dans le board de direction est un point que je n’apprécie pas trop. Surtout quand on sait que SoftBank a pour habitude d’utiliser ses assets pour lever des fonds pour d’autres projets. On voit clairement ici qu’ARM n’est qu’un “pion” pour SoftBank et que si elle souhaite se débarrasser de l’entreprise pour X ou Y raison, elle n’hésitera pas.

Les risques

Comme toute entreprise, ARM est exposée à certains risques. Voyons ensemble auxquels il faut particulièrement faire attention.

Tout d’abord, comme toute entreprise du secteur des semi-conducteurs, ARM est sujette à une certaine cyclicité au niveau de ses commandes. Même si l’entreprise reste bien moins cyclique qu’un équipementier comme ASML au vu de son business model, ce risque n’est pas négligeable pour autant.

Même si le monde de la tech semble s’orienter de plus en plus vers les technologies d’ARM, rien ne dit que les processeurs CISC ne feront pas leur grand retour dans un avenir plus ou moins lointain. De plus, même si peu probable, rien n’empêche un Nvidia, par exemple, de créer sa propre architecture et donc de se passer d’ARM. Si cela était le cas, ce serait une grosse perte pour ARM.

En effet, de par l’industrie et le segment de marché d’ARM, l’entreprise dépend fortement de peu de clients (Nvidia, Apple, Tesla, Qualcomm, …). La perte d’un d’entre eux impacterait fortement les finances de l’entreprise.

Le dernier risque majeur est un peu plus complexe. ARM tire ses revenus de la vente de licences d’exploitation, de royalties. Là où se situe le risque, c’est que les clients d’ARM pourraient très bien utiliser les technologies d’ARM et payer une partie des licences sans pour autant utiliser les outils et produits vendus par ARM. Au final, les revenus seraient moindres que si les clients d’ARM prenaient la suite complète.

La valorisation

Passons maintenant à la valorisation. L’entreprise s’échange aujourd’hui (7 Mai 2024) au cours de 101,7$ par action ce qui fait une capitalisation boursière de 104,56B$. Le PER est de 1263,65 (oui oui, plus de 1000 de PER) et le ratio Prix / Free Cash Flows est de 129,24.

Pour ce qui est du DCF, en prenant une hypothèse neutre avec une croissance à 20% par an des FCF sur les 5 prochaines années, un taux perpétuel à 2,5% et un taux d’actualisation de 10%, on obtient un prix cible situé entre 31$ et 37$ par action. En prenant les mêmes hypothèses de base, on tombe sur une croissance espérée à un peu plus de 54% par an. Clairement, on est sur des niveaux de prix affolants.

DCF — scénario neutre

Sur une hypothèse plus pessimiste, avec un taux de croissance des FCF à 15% sur les 5 prochaines années, un taux perpétuel à 2% et un taux d’actualisation à 10%, on obtient un prix cible situé entre 25$ et 29$ par action. La croissance espérée par le marché est ici d’un peu plus de 56%.

DCF — scénario pessimiste

On ressent clairement que le faible flottant a un fort impact sur la valorisation. D’autant plus que la demande pour une valeur telle qu’ARM, qui possède de nombreuses qualités sur le plan du business, est forte. L’action était déjà fortement valorisée lors de son IPO (55$ par action) mais elle a pris un peu plus de 95% depuis. Honnêtement, je ne suis pas du tout à l’aise avec ces niveaux de valorisation, même sur un dossier qui montre clairement de bonnes qualités sur son business.

Cependant, je pense personnellement qu’il est extrêmement difficile de valoriser une entreprise comme ARM, surtout avec si peu de données comptables. Je pense aussi que l’approche DCF n’est pas forcément adaptée à ce genre de cas.

Mon avis personnel

Personnellement, je suis un énorme fan de la valeur. Pour moi, sur le plan technique, c’est indéniablement la meilleure valeur tech. En tout cas, c’est celle avec le plus gros MOAT actuellement. ARM a su s’imposer comme le leader sur l’architecture des processeurs et peu importe ce qu’il se passe sur le secteur des semi-conducteurs, leurs technologies seront quand même utilisées par quasiment toute l’industrie.

Maintenant là où le bas blesse, c’est au niveau des fondamentaux et de la valorisation. Même si l’entreprise reste saine sur le papier, rien ne justifie une telle valorisation. La rentabilité réelle est négative, la croissance est trop instable et les marges beaucoup trop faibles.

Le soucis c’est que l’entreprise est clairement en situation de monopole. S’ils augmentent leurs marges, il y a fort à parier que les autorités de la concurrences rappliquent ou que certains de ses clients tentent par tous les moyens d’utiliser le moins possible leurs produits et outils voire même s’essayent à développer leur propre architecture RISC.

J’avoue personnellement avoir hésité à rentrer sur l’entreprise lors de l’IPO. Je n’avais pas eu le temps de regarder les fondamentaux mais connaissant l’entreprise depuis plus de 10 ans, j’avais peu de doutes sur son potentiel.

Au prix actuel, je suis convaincu qu’il y a de bien meilleures opportunités, même si ARM reste dans ma watchlist. Personnellement, je surveille les zones de prix de 50–60$ par action qui me semble assez intéressant au vu de l’avantage concurrentiel même si l’action resterait fortement valorisée à ces niveaux de prix.

J’espère que cette analyse vous aura plu, n’hésitez pas à me faire part de vos retours et suggestions pour les prochaines analyses !

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