Cet article est un portage de mon Medium et a été publié originellement le 2 Mars 2025
Ocelot, Majorana, Willow… Ces noms ont récemment fait la une des journaux avec les percées annoncées par Amazon, Microsoft et Google dans le domaine de l’informatique quantique. Ce sujet revient régulièrement sur le devant de la scène, tant pour la révolution qu’il promet que pour les craintes qu’il suscite autour de la sécurité informatique, potentiellement menacée par ces avancées.
Pourtant, peu de gens comprennent réellement son fonctionnement. Sans ambition de faire de vous un expert, je vais, à travers cet article, vous initier à ce domaine fascinant, vous aider à entrevoir la révolution qui se profile et tenter de démêler le vrai du faux.

L’informatique classique, comment ça marche ?
Mais avant de nous plonger pleinement dans l’informatique quantique, il est important de comprendre comment l’informatique classique fonctionne. Et, désolé de vous décevoir, mais non, ce n’est pas de la magie, c’est de la physique !
L’informatique repose sur un système binaire. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est très facile de représenter un circuit binaire avec de l’électricité: si du courant passe, on obtient un 1, s’il n’y en a pas, on obtient un 0. Cette unité d’information, appelée bit, peut être assemblée pour représenter à peu près tout : des chiffres, des coordonnées géographiques, voire du texte. Par exemple, 100100 correspond au chiffre 36, et la lettre “a” est assignée au nombre 97 dans la table ASCII, soit 01100001 en binaire.

Un ordinateur manipule ces séquences de bits grâce à des portes logiques. Il en existe plusieurs, mais les plus fondamentales sont la porte NOT, qui inverse un signal (0 devient 1 et inversement), la porte AND, qui ne renvoie 1 que si les deux entrées sont à 1, et la porte OR, qui renvoie 1 si au moins une des entrées est à 1.

En combinant ces portes, on peut réaliser des opérations plus complexes, comme des additions ou des soustractions sur des séquences de bits. Lorsqu’un programme est exécuté, le compilateur ou l’interpréteur traduit le code en langage machine, une suite d’instructions en binaire, que le processeur peut comprendre.
Ces instructions sont ensuite exécutées en manipulant directement des bits via les portes logiques. Par exemple, si vous additionnez deux nombres sur votre ordinateur, ils sont d’abord convertis en binaire, puis additionnés grâce à une combinaison de portes logiques.
Ces portes logiques ne sont pas qu’une abstraction: elles sont physiquement construites à partir de transistors, de minuscules composants électroniques qui agissent comme des interrupteurs contrôlés électriquement. Un transistor peut bloquer ou laisser passer le courant, ce qui permet de représenter un 0 ou un 1.

Transistor
En intégrant des milliards de transistors dans un processeur, on construit des circuits capables d’exécuter des calculs extrêmement complexes en une fraction de seconde. Cette miniaturisation toujours plus poussée a permis l’explosion de la puissance informatique au fil des décennies.
Toutefois, malgré ces progrès spectaculaires, l’informatique classique atteint certaines limites. Plus un problème est complexe, plus il nécessite un grand nombre de calculs, et ceux-ci peuvent rapidement devenir irréalisables en un temps raisonnable, même pour les ordinateurs les plus puissants.
C’est notamment le cas lorsqu’il faut analyser d’immenses volumes de données, simuler des phénomènes physiques ou encore casser certains systèmes de chiffrement.
Face à ces défis, améliorer encore et encore les ordinateurs classiques ne suffira peut-être pas. Une autre approche est explorée: repenser complètement leur fonctionnement. C’est ici qu’entre en scène l’informatique quantique, qui repose sur des principes totalement différents et promet de s’attaquer à des problèmes insolubles pour les machines d’aujourd’hui.
Bit vs Qubit
Si l’informatique classique repose sur un système binaire représenté par la présence ou l’absence de courant électrique, il est en réalité possible d’encoder l’information autrement.
Par exemple, au lieu d’un simple signal électrique, on pourrait utiliser une propriété physique plus fondamentale, comme le spin des électrons. Le spin des électrons est un peu comme leur “orientation” dans l’espace. Ce spin, qui peut être orienté vers le haut ou vers le bas, peut parfaitement servir à représenter un 0 ou un 1.

D’autres approches existent, comme l’utilisation de matériaux supraconducteurs, où le courant peut circuler dans deux directions différentes, chacune pouvant symboliser un état binaire. Ces alternatives montrent qu’un bit n’a pas besoin d’être un simple signal électrique: il peut être stocké et manipulé grâce aux propriétés quantiques de la matière.
Ces bits d’un nouveau genre sont appelés les qubits. L’avantage d’utiliser autre chose que le courant électrique pour représenter un signal c’est que la matière, à l’échelle quantique peut être dans plusieurs états à la fois. C’est ce qu’on appelle la superposition quantique.
Cet état de la matière n’est figé que lors de l’observation. Avant cela, un qubit peut exister dans une superposition de ces deux états. Cela signifie qu’au lieu d’être soit 0, soit 1, un qubit peut être une combinaison des deux avec des probabilités associées. Autrement dit, tant qu’on ne l’observe pas, il est dans un état indéfini où il peut être simultanément les deux à la fois.
Le gros avantage que cette propriété quantique procure c’est qu’elle permet d’accélérer énormément le calcul. Un ordinateur ne manipule pas individuellement des bits mais en registres.
Par exemple, un registre de 4 bits donne 16 combinaisons différentes. Avec un registre de 4 qubits, on peut représenter 16 états différents à la fois ce qui divise le temps de calcul par 16. De manière générale, avec un registre de N qubits, on peut représenter 2ᴺ états.

L’intrication quantique est une autre propriété qui renforce l’attrait pour les qubits. Lorsque deux qubits sont intriqués, leur état devient lié de manière indissociable, même s’ils sont séparés par des milliers de kilomètres. Si l’on mesure l’un, l’autre prendra instantanément une valeur correspondante.
Grâce aux propriétés quantiques de la matière, l’informatique quantique offre des avancées spectaculaires. Certains problèmes, qui demanderaient un temps démesuré à un ordinateur classique, deviennent bien plus accessibles.
On pourrait notamment citer l’algorithme de Grover, permet de rechercher un élément parmi N possibilités en seulement √N étapes, contre N pour un algorithme classique, ce qui accélèrerait grandement les calculs en intelligence artificielle par exemple.
On pourrait aussi citer l’algorithme de Shor, qui permet de factoriser un grand nombre en un temps polynomial, alors qu’un ordinateur classique mettrait un temps exponentiel. Cela signifie que certains systèmes de chiffrement actuels, comme RSA, pourraient être vulnérables aux ordinateurs quantiques suffisamment puissants.
Alors, un ordinateur quantique est seulement un ordinateur classique mais en beaucoup plus puissant ? Et bien, pas exactement, et c’est même beaucoup plus complexe que ça…
L’informatique quantique c’est cool, mais…
Présenté comme ça, l’ordinateur quantique semble être la solution à tous nos problèmes… Et pourtant, ce n’est pas si simple. Contrairement à une idée reçue, un ordinateur quantique n’est pas juste une version « ultra-puissante » d’un ordinateur classique. Il n’accélère pas tous les calculs de manière uniforme.
Par exemple, les modèles d’intelligence artificielle générative, comme ChatGPT, ne seraient pas révolutionnés par l’informatique quantique. Les LLMs (Large Language Models) reposent sur des réseaux de neurones et des matrices massives à multiplier. Or, les ordinateurs quantiques ne sont pas nécessairement plus rapides pour ce type d’opérations.

Dans ce cas précis, ils peuvent être utiles dans les calculs intermédiaires, mais pas dans toute la chaîne de raisonnement.
En revanche, ils sont particulièrement prometteurs pour des tâches spécifiques, comme la simulation de molécules pour la découverte de nouveaux médicaments ou l’optimisation de problèmes complexes (logistique, finance, physique des matériaux).
Par ailleurs, les ordinateurs quantiques ne sont pas encore des outils utilisables à grande échelle. Les qubits sont extrêmement fragiles: la moindre perturbation externe (chaleur, vibrations, ondes électromagnétiques) peut les faire perdre leur état et donc fausser les résultats des calculs.
Les machines actuelles nécessitent des conditions extrêmes pour fonctionner, comme des températures proches du zéro absolu (-273°C). De plus, même les meilleurs ordinateurs quantiques d’aujourd’hui ont un taux d’erreur élevé, ce qui limite leur utilité.

En parallèle, les algorithmes adaptés aux ordinateurs quantiques sont encore rares. Autrement dit, même si on construisait demain une machine parfaite, il resterait à inventer et optimiser les logiciels pour exploiter son potentiel.
Aussi, un point souvent mal compris est que l’informatique quantique ne permet pas de tester toutes les solutions en parallèle et de « deviner » immédiatement la bonne réponse.
Contrairement à des systèmes parallèles ou distribués, on ne récupère qu’un seul résultat et non une multitude. Cette contrainte majeure force à trouver des cas d’usages spécifiques aux ordinateurs quantiques qui ne nécessitent de trouver que la réponse exacte.
En somme, les ordinateurs classiques et quantiques sont complémentaires. Malheureusement, aujourd’hui, c’est surtout un outil de communication pour les entreprises qui investissent dessus. Ces dernières sont dans une course à la suprématie quantique et des publications comme celles sur Ocelot, Willow ou Majorana arrivent périodiquement tous les 4–5 ans. Aujourd’hui, le champ d’application reste limité à la recherche et à seulement certains types de calculs spécifiques.
Cependant, l’informatique quantique est sans aucun doute une révolutionqui viendra taper à notre porte d’ici quelques années avec de la chance.