Cet article est un portage de mon Medium et a été publié originellement le 16 Juillet 2025

S’il y a bien un sujet dans la bouche de tous les détracteurs de l’IA, c’est bien la question de la rentabilité de tous les investissements fait jusqu’alors dans le secteur.

En effet, des montagnes d’argent ont été englouties depuis 3 ans dans des infrastructures destinées à alimenter cette révolution technologique.

Bien que la question de la rentabilité de ces investissement ne se pose pas vraiment pour les fournisseurs d’infrastructure ni pour les gros modèles d’IA à destination des professionnels — les entreprises étant prêtes à payer des montants important pour optimiser leur opérations — les modèles à destination du grand public peinent toujours à atteindre le seuil de la rentabilité.

Alors bien évidemment, il aura fallu des années pour qu’internet trouve son business model et l’IA est encore très récente. Cependant, il est légitime de se demander si l’on ne reproduit pas les schémas de la fin des années 90 en investissement massivement dans des infrastructures qui ne trouveront plus preneur à moyen terme après l’éclatement d’une bulle.

Dans ce billet d’humeur, je vous propose de revenir sur la bulle internet pour y exposer les similitudes avec la situation actuelle, avant de proposer un cheminement logique vers ce à quoi l’IA pourrait ressembler dans un futur proche.

La bulle internet: de son émergence à son héritage

On est au début des années 90, l’informatique commence à pointer le bout de son nez dans le foyer de nombreux Américains et Européens, et le besoin de faire communiquer tous ces ordinateurs entre-eux apparaît doucement.

C’est globalement au milieu des années 90 et plus particulièrement à partir de 1997 que l’adoption d’internet explose. On passe de 2,6 millionsd’utilisateurs en 1990 à pas moins de 390 millions d’utilisateurs Internet actifs en 2000, soit une multiplication par 150 en dix ans (+165% par an en moyenne).

Avec cette explosion du nombre d’utilisateurs, et l’arrivée de cette nouvelle technologie, c’est l’enthousiasme qui s’empare des entrepreneurs dès 1994 avec la création de Yahoo puis Amazon ainsi que des premiers fournisseurs d’accès à Internet.

1995 marque la création d’Ebay et l’entrée en bourse de NetScape, le premier navigateur Web grand public. Dès sa première journée de cotation, le titre enregistre +200% de hausse, montrant les premiers signes de frénésie spéculative.

S’en suivent entre 1996 et 1998 des dizaines à centaines de millions de dollars d’investissement dans les infrastructures et réseaux de câbles permettant à internet de grandement se développer.

Ces années marquent aussi l’apparition du “.com” dans les médias ainsi que les valorisation surréalistes pour les entreprises et startup d’internet. Par exemple, Microsoft rachète Hotmail en 1997 pour 400 millions de dollars, un somme colossale à l’époque pour une entreprise non rentable sans business model.

C’est à cette période qu’on voit aussi l’arrivée de nouveaux ratios essayant d’expliquer ces valorisations pour le moins farfelues. On valorise en fonction du nombre d’utilisateurs (pour Hotmail, le rachat s’est effectué à 40$/utilisateur) ou de visiteurs, alors même que ces entreprises n’ont aucun plan pour atteindre la rentabilité.

L’argent coule à flot, le nombre de startup internet explose, nombre d’entreprises qui rajoutent un “.com” à la suite de leur nom voient leur cours de bourse exploser… Bref c’est l’euphorie la plus totale.

En 1999, plus de 300 startup tech font leur entrée en bourse. Le Nasdaq100, célèbre indice de la technologie Américaine, triple entre 1998 et mars 2000. Symbole de cette euphorie la plus totale: Pets.com, un site de revente de produits pour les animaux de compagnie est valorisé à 300M$ alors que l’entreprise brûle son cash et n’a pas 9 mois de réserves. La réalité, c’est que nombre de startup sont dans la même situation en 2000.

Mars 2000 fût le pic de la bulle internet avec le Nasdaq qui perdit 78% de sa valeur entre mars 2000 et octobre 2002, marquant le pire krach boursier depuis la grande dépression.

Des milliers de startup furent faillite et les géants de la tech actuelle ont vu leur valeur divisée par 5 à 10.

Cependant, dans toute cette débâcle, la bulle internet aura été l’occasion de bâtir toute une infrastructure qui permettra par la suite le développement d’internet tel qu’on le connaît aujourd’hui.

L’explosion de la bulle aura permis d’assainir le paysage et de voir émerger nombre d’acteurs que l’on connaît aujourd’hui, comme AirBnB, Uber, Booking ou encore Meta.

D’ailleurs, certaines des entreprises fondées avant et pendant l’euphorie font parti aujourd’hui des entreprises les plus profitables et valorisées de la planète avec Nvidia, Microsoft, Apple, Amazon et Alphabet.

Et aujourd’hui, qu’en est-il de la situation avec l’IA ?

Aujourd’hui, la nouvelle révolution technologique qui secoue les marchés, ce n’est pas internet mais l’intelligence artificielle. Et les plus observateurs d’entre-vous auront remarqué quelques similitudes.

En effet, comme à la mi/fin des années 90, on a des investissements massifs dans des infrastructures, un nombre de startup IA en explosion, quelques entreprises qui ajoutent le mot “AI” dans leur nom, et globalement, une demande qui explose.

Alors, bis repetita ou cette fois-ci, c’est différent ? Alors, c’est vrai que l’histoire nous a souvent montré qu’elle se répète souvent, que quand les analystes répètent que “cette fois-ci, c’est différent”, en fait, c’est exactement pareil, et surtout que ça fait beaucoup plus cliquer de crier à la bulle; mais personnellement, j’ai un avis beaucoup plus nuancé.

Premièrement, sur le marché boursier, à part quelques acteurs (comme Palantir — je vous renvoie vers mon analyse ici — ou Tesla), les valorisation sont élevées mais loin d’être totalement décorrélées de la réalité.

Si l’on prend l’exemple d’Nvidia, souvent comparée à Cisco ou décriée comme étant une bulle, on peut voir que le prix de l’action a grimpé moins vite que les free cash flow par action ou bien que les bénéfices par action, ce qui est plus que sain…

D’ailleurs, quand Cisco se payait 130x les bénéfices futures en 2000, Nvidia se paie aujourd’hui “seulement” 38x les bénéfices futures.

Même si l’on se situe aujourd’hui sur des niveaux historiques, ainsi que sur des valorisations exigeantes (40x les bénéfices sur le Nasdaq100), la réalité c’est qu’il faudrait que les indices fassent x2,35 demain pour retrouver les mêmes niveaux de valorisation que pendant la bulle internet (80x les bénéfices futures en 2000 vs 34x aujourd’hui).

Pour continuer, les acteurs qui font ces investissements aujourd’hui, sont soit des États au travers de leurs fonds souverain (Arabie saoudite, Quatar, etc…) ou de plans de financements publics (France, Allemagne, etc…), soit des entreprises déjà très lucratives et profitables (Amazon, Google, Meta, Microsoft, Oracle pour ne citer qu’elles).

Cependant, vous allez me rétorquer que les acteurs en bout de la chaîne de valeur de l’IA ne sont pas encore rentable, ce qui est partiellement vrai. Aujourd’hui, le grand public et le marché ne voit que les chatbot comme Claude, ChatGPT, Gemini ou Grok. Cependant, l’IA est aussi utilisé en interne dans nombre des grosses entreprises du S&P500 et rapporte déjà de la valeur.

Microsoft, Google et Salesforce ont annoncé respectivement que 30% (pour les deux premiers) et 50% (pour Salesforce) de leur code était généré par IA, ce qui représente une valeur ajoutée théorique allant jusqu’à 20B$ par anpour chacun de ces acteurs (ici je prends le coût moyen d’un ingénieur et j’estime le nombre d’ingénieurs qu’il faut pour produire autant de code).

Et même aujourd’hui, Google vient d’annoncer que Deep Sleep, son agent IA spécialisé en cybersécurité vient de découvrir et patcher une faille de sécurité permettant à Google d’éviter un incident qui aurait pu lui coûter plusieurs milliards de dollars en plus d’entacher son image.

Alors, certes, pour les IA à destination des entreprises, le business model est déjà tout tracé, et la rentabilité est déjà là et forte, ce qui fait la principale différence avec la bulle internet.

Cependant, une énorme part de la consommation d’IA reste encore chez les particuliers au travers de ChatBots. Ainsi, même si la demande est colossale, une bonne part (une estimation prudente se situerait entre 30 et 50% du nombre de tokens générés) est lié à un usage non-professionnel.

Alors, même si les acteurs se positionnent à la fois sur l’IA professionnelle et sur l’IA grand public, une grosse source des revenus et des anticipations de besoin en capacité de calcul provient d’acteurs encore aujourd’hui non rentables.

De plus, les valorisation des acteurs non cotés comme OpenAI, Anthropic ou xAI atteignent des records, tout ça pour des entreprises brûlant du cash (à l’exception d’xAI qui bénéficie des revenus de X).

Donc, quand je ne vois aucune bulle sur le marché boursier, tout au plus un risque d’anticipations trop élevé sur la demande en Cloud IA, mon discours n’est pas du tout le même sur le marché du private equity.

Je pense qu’il y a un réel risque de bulle sur ce marché, notamment sur OpenAI et Anthropic. La hype est réelle sur OpenAI et arriver premier sur un marché ne veut pas dire que l’on va rester leader. Les modèles IA évoluent très vite et il n’est pas garanti que tous les acteurs existent encore dans 5 ans.

L’explosion ou l’effondrement

À partir de ce constat, on peut en déduire que si le besoin en financement devient insoutenable, on pourrait observer une augmentation colossale des prix pour que ces acteurs atteignent au plus vite le seuil de rentabilité, faisant par la même occasion chuter la demande.

On se retrouverait alors potentiellement dans le même scénario que celui de la bulle internet, probablement en moins extrême car la demande reste fortement soutenue par un besoin d’automatisation des tâches en entreprises.

Cependant, une voie semble s’ouvrir pour éviter ce scénario catastrophe, et j’ai fait toute cette longue introduction pour vous emmener à ce point précis: ce vers quoi l’IA pourrait se diriger et ce à quoi l’internet de demain ressemblera.

Maintenant, au lieu de considérer les ChatBots IA comme de simple agents conversationnels, essayer de les imaginer comme un véritable assistant. Au lieu de rechercher le meilleur prix pour votre prochain vol ou séjour à l’hôtel, imaginez une IA capable de tout planifier pour vous au meilleur prix.

Alors, bien évidemment, ce ne serait pas seulement limité à ce type de scénario et ça pourrait s’étendre à de nombreux cas d’usage. Ici, le ChatBot IA resterait gratuit et les entreprises prendraient des commissions sur chaque transaction, à l’instar d’un Visa.

Petite aparté: mon plus gros soucis avec le modèle ChatBot payant, c’est que non seulement les entreprises seraient à peine rentables car il faudra tirer les prix toujours plus vers le bas, mais je doute aussi fortement que la majorité de la population sera prête à payer pour accéder à un modèle d’IA. Surtout qu’on a habitué les gens à avoir un internet gratuit.

Ce scénario a plusieurs grosses implications et contraintes:

  • Premièrement, il va falloir que les entreprises s’adaptent à ce nouveau mode de recherche/consommation, la recherche Google telle qu’on la connaît va disparaître au profit de la recherche IA, que ce soit par la reconnaissance d’image ou par la requête classique telle qu’on la connaît aujourd’hui

  • Certains acteurs vont naturellement disparaître car ils n’auront pas su s’adapter

  • Les sites web tels qu’on les connaît actuellement risquent de disparaîtreeux-aussi, au même titre que l’annuaire le fut à l’arrivée d’internet

  • Le web va devenir API based, avec des IA qui communiquent entre-elles pour optimiser et automatiser les interactions. On se dirigeait d’ailleurs déjà dans cette direction avec le cloud

  • Les entreprises internet dont leur avantage compétitif se situe au niveau de la plateforme (AirBnB, Booking, Uber, etc…) vont perdre peu a peu cet avantage et l’effet réseau qu’elles auront pu construire. Comme tout se passera en arrière plan, la marque et la plateforme passeront au second plan

  • La demande en puissance de calcul va continuer d’exploser, ce qui va mécaniquement booster les acteurs du cloud mais aussi peser sur leurs marges

  • Comme tout sera inter-connecté, on sera de plus en plus dépendants du cloud et d’internet, ce qui créera mécaniquement un stress sur les infrastructures, déjà fortement sollicitées

  • Il va y avoir un gros sujet sur la gouvernance des données, l’accès aux données privées et le traitement des données bancaires par les IA. Les prestataires de paiements seront au coeur de cette révolution technologique, et les émetteurs de cartes vont en profiter avec un volume de transactions toujours plus important

Ce scénario est aujourd’hui celui que je privilégie, non seulement car il me semble être le seul viable étant donné que l’IA restera gratuite et que son coût sera indolore car caché dans des frais de transactions, mais aussi car certains des aspects que j’ai pu citer plus haut sont déjà en marche.

D’ailleurs, je sais que certains points peuvent paraître absurdes ou tirés par les cheveux, mais qui en 2000 aurait pu prédire qu’internet ressemblerait à ça aujourd’hui ? La réalité c’est qu’on peut apercevoir la direction que l’on prend mais personne n’est en mesure de dire à quoi ressemblera l’IA dans 20 ans.

Bien sûr, les défis qu’il faudra relever sont importants, mais comme ceux d’internet à l’époque. La plus grosse barrière restera éthique et juridique. Comment gérer les données personnelles ? Veux-t’on donner autant de pouvoir aux IA ? Voici les deux questions auxquelles il faudra répondre.

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